Veillée des braves
Si la course mythique commence déjà dans la tête du participant longtemps auparavant, dès la fin même de l’édition précédente pour certains, la veille du départ marque une transition pour tous, et le briefing de George Edwards en est le sermon attendu !
Les mises en garde sur les nombreuses difficultés du lendemain n’incitent pas à la franche rigolade, même si les conditions prévues, et effectivement rencontrées cette année, étaient proches de l’idéal, et ce malgré la petite couche de neige quelques jours auparavant. Les visages sont fermés, déjà concentrés sur un objectif qui ne les quitte pas plusieurs mois durant. Le doute reste omniprésent, selon l’ambition affichée, car c’est un sport mécanique et souvent acrobatique, qui fait appel à une lucidité de tous les instants, les aléas restent toujours importants.
Autre briefing entre photographes et vidéastes pour se coordonner sur la stratégie de placement et de suivi, variable en mobilité selon que l’on est sur 2 ou 4 roues.
Mise en ligne
Dimanche, 5 heures du matin. La portion de route qui monte de Valdeblore à la Colmiane est encore dans le noir. Une procession de vététistes sans éclairage y progressent, en guise de pré-chauffage à une très longue journée d’effort intense.
Les visages sont encore plus fermés que la veille. L’époque où beaucoup venaient participer « pour voir », et ne franchissaient pas toujours les portes horaires, est révolue. Qu’ils soient champions reconnus, anciens déjà bien rodés, ou nouveaux fascinés par le mythe, ils « savent » où ils vont se jeter. Et pour preuve : hormis les abandons, seulement 25 recalés à la première porte horaire du Suquet, tandis que les autres portes seront toutes franchies, signe d’une meilleure connaissance du parcours et d’une préparation réfléchie.
Tandis que le jour se lève, la grille de départ se remplit. Amis, ou pros du circuit, on reconnaît beaucoup de visages. On échange quelques mots, des encouragements, on prend des photos. Un instant d’exception suspendu entre la fin d’une longue préparation physique et technique, et le début d’une longue journée de souffrance, de joies, de peines, de remises en question, de coups au moral et de coups d’éclat. Il fait frais, mais pas trop. On sait qu’il faut se couvrir un peu, mais pas trop, car la température va très vite monter, dans les corps d’abord, puis dans les premières descentes vers les vallées Vésubiennes, jusqu’à devenir insoutenable aux abord du Mont Chauve et du Paillon.
Mass-start
Après les derniers encouragements au micro de Michel, l’incontournable speaker du circuit depuis toujours, le calme retombe sur la grille, tandis que public et photographes prennent leur place sur les côtés, et que George brandit devant les premières lignes les fameuses plaques de décompte, devenues célèbres sur toutes les courses « mass-start » du circuit UCC.
L’ange de la TransV est à peine passé que les rubalises se lèvent déjà et que la meute des « performers » se libère enfin dans une grande clameur pour enchaîner les trois chicanes de la courte descente vers le télésiège du Pic, premiers mètres à gravir sur les 3500 que compte le parcours.
Si certains ne résistent pas à courir après le « holeshot », la grande majorité préfère assurer largement cet instant pour éviter les embrouilles et ne pas anéantir des mois de préparation. On est très loin d’un départ de Méga !
Pendant que les premiers photographes grimpent fissa au Pic de la Colmiane, je couvre le départ des « challengers » plus bon enfant, et surtout celui des VAE qui préfigure une nouvelle ère dans la pratique du vélo de montagne.
VTT « Assistés »
Changement d’ambiance radical. Avec ses 14 partants, trois fois plus que l’année passée quand même, la catégorie expérimentale VTTAE fait figure de précurseur avec l’ambiance « oldies » de la première TransV, en 1988. Petit comité familial où presque tout le monde se connaît, et où une certaine décontraction règne, même si les enjeux des marques représentées sont loin d’être anodins, le marché du VAE est plus que prometteur.
A la question « Qui a acheté son VAE parmi vous ? », aucune réponse positive. La réalité c’est que les trois quarts des pilotes représentent une marque, un distributeur ou une enseigne, tandis que les trois « vrais » amateurs roulent sur un vélo de location ou prêté !
De fait, nous sommes encore en mode laboratoire. S’aligner sur une telle épreuve d’endurance avec un matériel plus coûteux, plus complexe à gérer, et les 7 à 8 kg supplémentaires qui vont avec présente encore beaucoup d’inconnues que ces « défricheurs » prennent un plaisir évident à aborder.
O. Giordanengo est certainement le plus expérimenté de tous. Non seulement il a les capacités physiques et techniques pour une place d’honneur en « non assisté », mais il a déjà plusieurs courses à son actif en mode VAE pour la marque Giant. Et que dire de F. Dola en Haibike, V. Juliot en Moustache, C. Vergier et JP. Bruni en Lapierre qui possèdent à eux tous le palmarès le plus fourni sur cette course.
Le départ est folklo. Bruni « tel père, tel fils » fait le holeshot, tandis que L.Solliet beugle une sorte de cri de guerre et W.Luneau passe la chicane en wheelie !
Lever de soleil sur le Pic de Colmiane
Premier sprint moto sur la piste qui mène au Pic. C’est qu’il ne faut pas traîner, les VAE chargés à bloc devraient avaler cette première montée à une moyenne indécente.
Les nuages se déchirent et laissent enfin le soleil passer. A peine le temps d’admirer la belle lumière et la rosée matinale que Giordy débouche comme un furieux sur le sentier de crête, avec Juliot, Falski et Vergier dans sa roue. Les autres ne tardent pas non plus mais il est temps d’embrayer pour la première étape moto vers le village d’Utelle, car la tête de course avance.
Balise 113
Impossible de « couvrir » l’épique Brec d’Utelle, il faudrait pour cela s’y positionner bien en avance, et donc louper le départ, puis redescendre avec les concurrents les 800m négatifs de sentier en mode trail jusqu’à Utelle. Alors comme la plupart les photographes, je vais me positionner à proximité de l’incontournable et photogénique balise 113 qui marque l’arrivée du GR5 au-dessus du village et qui symbolise la Transvésubienne depuis sa création.
8 heures, j’arrive à la bourre sur l’horaire prévu de la tête de course, et Chenevier se présente déjà aux portes du village. L’écart du pilote Scott avec ses poursuivants est conséquent, ce qui laisse le temps de shooter les premiers passages avec de meilleurs angles. Une minute trente après, c’est au tour de Sauser de franchir la marche de pélites grises, suivi par le Suisse Tschopp.
Le passage technique de ce virage droite plongeant, sur fond de village perché, est franchi dans des styles très variés, du plus engagé (au plus court dans le raide) au plus conservateur (à pieds). C’est tout l’intérêt d’une course où les bons techniciens peuvent concurrencer les meilleurs grimpeurs.
Ravito d’Utelle
Premier ravitaillement pour les concurrents sur la place du village, avec une forte implication de la commune et des habitants. A ce stade de la course, surtout aux avants-postes, beaucoup font l’impasse sur le pit-stop.
Giordy déboule ainsi, tout sourire. Avec son VAE il a déjà logiquement repris du temps sur les premiers.
Il est d’ailleurs temps de retourner au Suquet pour assister aux premiers changements de batterie, aux assistances mécaniques, et également au départ de la Trans 50.
Le Suquet
Effervescence rare sur la petite plaine qui s’évase autour du lit de la Vésubie, et où les concurrents peuvent à la fois bénéficier de leur propre assistance et de celle du fabricant Mavic, tandis que le parc très réglementé des VAE permet un premier changement de batterie, et une recharge au moins partielle de celle déjà utilisée (seulement 2 batteries autorisées).
Juliot arrive avec son Moustache sans selle, tandis que Tito, pourtant auteur d’un très bon début de course se voit contraint d’abandonner, tige de selle relevable cassée.
Les VAE se succèdent assez groupés. Les équipes sont bien au point avec la prise en charge et le graissage du vélo. Mais ils ont mangé leur pain blanc, car le deuxième (et dernier) poste de changement avec la première batterie rechargée dans l’intervalle, est au plan d’Arriou avec nettement plus de dénivelé positif que sur cette première étape.
Trans 50
Pour des raisons d’organisation et afin de permettre une arrivée sur la prestigieuse Promenade des Anglais, la nouvelle Trans 50, prévue initialement sur la première partie du parcours, empruntera finalement l’autre grosse moitié.
Antichambre de la grande course, la Trans 50 permet non seulement à ceux qui n’ont pas pas les capacités d’affronter le grand parcours, mais aussi à ceux qui n’ont pas pu respecter l’indispensable préparation physique, de goûter à sa technicité et son ampleur.
83 pilotes, dont 7 féminines, se présentent au départ à 10 heures dans une ambiance festive. Et aussitôt le départ donné, ils se mêlent aux flot des Transistes partis déjà 4 heures plus tôt.
Col St Michel
Difficile d’être à la fois au Col de la Porte puis au Férion. George m’avait alors suggéré le col St Michel, sous les ruines austères et énigmatiques de rocca Sparviera. La piste de Duranus y grimpait « facile » selon lui, et permettait d’enchaîner avec le Férion. Je me presse donc aux abord du Belvédère du Saut des Français pour entamer les 500m positifs balise 450 (piste en principe interdite aux véhicules non autorisés).
Certes, ça grimpe plutôt bien, si on excepte les quelques raidillons au remblai instable où tout arrêt était simplement prohibé. Équipé de pneus route inadaptés, les 170 kg de la Ténéré auraient été difficiles à relancer !
Arrivé sans encombre au col, j’y retrouve deux trialistes Levensois qui encadrent la course. Le panorama est simplement sublime. La tête de course est déjà passée et les écarts entre concurrents isolés ou gruppettos sont importants. Cela laisse le temps de se positionner sur quelques passages intéressants, voire spectaculaires.
Un pilote s’arrête à ma hauteur et me demande où il pourra rejoindre la vallée. Pas de problème technique ni physique particulier, il se dit simplement vidé, plus de jambes (il est encore dans les 50 premiers!). Je lui indique qu’une fois au ravito du Férion plus très éloigné, il pourra faire une pause, s’alimenter, et surtout réfléchir avant d’abandonner sur baisse de moral. J’espère vraiment qu’il aura bien continué.
Certains VAE sont dans le dur. La gestion d’une batterie sur un terrain aussi exigeant ne s’improvise surtout pas, car une fois déchargée, c’est un vélo de 20-22 kg qu’il faut monter. Solliet et Champion en font les frais et doivent patienter leur changement jusqu’à Plan d’Arriou.
Accidents
Depuis le col St Michel, on voyait assez distinctement les manœuvres d’un hélico en stationnaire au-dessus du village d’Utelle. Il y aura eu trois accidents sérieux nécessitant deux évacuations et hospitalisations, ainsi qu’une demi-douzaine d’interventions des pompiers, la dernière à 18h30 !
Heureusement les blessés se portent bien et se remettent doucement de leurs blessures, tandis que les concurrents qui se sont arrêtés et sont restés en assistance pour certains jusqu’à l’intervention des secours ont tous été crédités du temps perdu pour la suite de la course. Bravo à eux.
Le “Transpi”
Alors que je m’apprête à joindre le Férion par la piste avec les concurrents, notre légende vivante de la TransV passe au col. Monsieur « 20 Trans », alias Transpiquouze, alias emblème de la niaque plusieurs années durant sur tous les visuels, auteur de citations telles que « C’est un beau jour pour souffrir ! » et de compte-rendus de course échevelés qui ont certainement profité à la réputation et l’aura de la course.
Je profite de l’occasion pour échanger quelques mots avec lui sur une motivation d’exception qui a fini par s’user avec le temps, à tel point qu’il lui aura fallu une volonté inhabituelle pour prendre ce vingtième départ à l’occasion de ses 50 ans. C’est que les sacrifices sont nombreux pour pouvoir s’aligner avec l’ambition d’un résultat, son parcours est donc d’autant plus admirable, et la façon dont il communique sa passion est reconnue et appréciée au-delà du microcosme vététiste.
Je roule quelques mètres à ses côtés sur la longue montée, quelques mots échangés sur la moto, une de ses autres passion, puis je le laisse à sa concentration et le libère du gros monocylindre au martellement débonnaire.
Chapelle St Michel
Le ravito tenu par le dynamique club de VTT Levensois ainsi que la commune se situe dans la cadre magique de la chapelle St Michel et son allée de cèdres centenaires. Les organisateurs ont même dormi sur place pour assurer au mieux l’accueil des concurrents souvent lessivés par la longue remontée sur le Férion.
Ce passage est une sorte de parenthèse dans la course puisque c’est l’un des rares à offrir un sentier d’humus roulant, avant d’attaquer la démoniaque crête du Férion, avec la ligne d’arrivée très lointaine en visuel.
Crête du Férion
Apercevoir les collines de Nice au loin est certes une libération, mais c’est aussi le début de l’enfer, celui de la crête minérale et tortueuse de la crête du Férion, où les organismes bien entamés doivent pourtant choisir avec finesse les trajectoires et résister à l’implacable marteau piqueur que les suspensions évoluées peinent à modérer.
Certains préfèrent passer à pieds, tandis que d’autres chutent, souvent à cause des jambes crampées qui n’en font qu’à leur tête, ou crèvent faute à une pression insuffisante ou un pincement malencontreux.
Plan d’Arriou
Certains pilotes roulent « au radar ». Visage absent. Objectif ancré dans le mental. Mais surtout soulagement infini pour ceux qui redoutaient la dernière porte horaire, et qui vivent l’instant comme une première « arrivée » et une première victoire sur eux-mêmes.
Les VAE sont également aux anges. Ils vont enfin pouvoir effectuer leur dernier changement de batterie, qui sera cette fois largement assez dimensionnée pour terminer le parcours.
Il reste quand même l’obstacle redouté du Mont Chauve, avant d’aborder la ville, et le détesté lit du Paillon.
Mont Chauve
Dernier obstacle vertical avant l’arrivée, et nouvelle descente cassante avec cette impressionnante vue sur la cité Niçoise et la baie des Anges.
Sous les encouragements avec force trompette d’un ancien collègue biker et de son fils, passent à cet instant le team des fat bikes en toute décontraction, un binôme père (+60 ans) et fils, et bien d’autres visiblement ravis à la fois des encouragements et aussi du spectacle rassurant de la mer toute proche.
A ce stade de la course, ils ont déjà 10 heures de vélo de montagne dans les jambes, tandis que les premiers sont arrivés depuis près de 4 heures !
L’égarement de Sauser
Même les très grands champions font des erreurs, et peuvent aussi avoir leur lucidité mise à mal après une telle course. Le pilote Suisse connaissait bien le parcours, il savait qu’une fois devant le premier feu rouge en l’absence de tout fléchage, il avait deux choix : revenir sur ses pas pour retrouver le balisage ou demander aux passants le chemin de l’arrivée par la ville.
On aurait bien imaginé un scénario à la Thévenard, qui lors de l’édition 1990, s’était retrouvé dans la même situation et avait fait demi-tour, perdant ainsi l’écart qu’il avait réussi à creuser vis-à-vis de son poursuivant, Taillefer. Ils franchiront finalement l’arrivée main dans la main, faisant d’eux les premiers et seuls ex-aequo de l’histoire de la course.
La Prom’
Il est temps de se laisser glisser vers l’arrivée pour y capter quelques images et y ressentir l’ambiance très particulière qui y règne.
Le mélange hétéroclite de citadins, de touristes en goguette et de finishers de la TransV a tout d’une « rencontre du troisième type », car ces derniers viennent tout simplement d’une autre planète, et n’ont pas encore bien réalisé où ils avaient atterri !
Épilogue
A défaut de don d’ubiquité, il n’y a finalement qu’une seule solution pour être effectivement présent sur tous les plus beaux passages de cette course d’anthologie : s’inscrire, se préparer, participer… et arriver !
Texte & photos © Pierre Jahan – UCC