Je suis Rémy Thélier et j’ai 18 ans. Ce week-end j’ai fait ma première Transvesubienne, la fameuse course, celle de 80km, celle que tout le monde appréhende.
Cela fait maintenant cinq ans que je me bats sur les Coupes de France XCO mais l’année dernière j’ai pris le départ de la Trans50. Ce fut une expérience extraordinaire qui m’a laissé de beaux souvenirs avec une victoire à la clef et une envie de faire plus. Cette année je le refais, mais sur le grand parcours, avec mon nouveau team NCA Bergamont Levens VTT et mon Bergamont Fastlane Team. La Transvésubienne c’est une course où je me suis noyé dans l’ignorance tel un écolier de CP lors de son premier jour d’école. C’était “ma première fois”, j’appréhendais l’événement ne sachant pas comment m’y prendre ni à quoi m’attendre.
Vendredi 11 mai, 19H00
J’ai enfin ma plaque et mon numéro que j’attendais depuis 6 mois : le 348.
Le lendemain, 14H00, j’étais au départ du prologue à la Colmiane sous une pluie torrentielle. J’étais décidé à faire un temps qui permettrait de partir en première ligne le dimanche matin. Objectif atteint, YES !
Durant tout la nuit précédant la course, mon esprit sombra dans le noir. Il se rattachait
- à des chiffres bien bêtes: 75 km, 2500 de dénivelé positif, 4000 de négatif
- à des noms encore vides de sens: la madone d’Utelle, Levens , la Colmiane
- à des athlètes que j’idéalisais : Chenevier, Looser, Sauser…
Mais un mot résonnait sans cesse,« l’abattoir ». C’est comme ça qu’un ami m’a parlé de cette fameuse course, et ce mot m’a hanté toute la nuit.
Mais quelle valeur avait-il ? Que qualifiait-il réellement ? Je le découvrirai le lendemain.
Dimanche 13 Mai, 7H00
Je suis prêt. Inconscient de ce qui allait m’arriver je m’étais préparé l’image des grands explorateurs: des litres d’eau, des barres à n’en plus finir, une lampe…
J’ai pris le départ au sommet des montagnes et 6h30 plus tard, je suis arrivé au bord de la mer sur la promenade des anglais avec une belle 9ème place au scratch à la clef et une victoire en Espoir : je ne pouvais pas rêver mieux !
Aujourd’hui, ça fait cinq jours que c’est fini. Cinq jours que je vis avec lenteur, où je prends soin de qui je suis. Cinq jours, mais quand je parle de cette course j’ai toujours une vague émotionnelle qui m’envahi. J’en pleure mais pourquoi ?
C’est plus qu’une simple course, c’est une leçon de vie qui invite à l’introspection…
Il ne serait pas juste de ne pas vous expliquer ce qui a bien pu se passer sur les sentiers de la transv, de ne pas expliquer ce qui s’est passé entre 7h et 13h30. Je suis persuadé que pour le comprendre il faut expérimenter mais je vais vous raconter mon expérience lors de cette course.
C’est des centaines de questions m’ont assiégé l’esprit avant de partir: que fais-je ici ? Me suis-je assez alimenté ? Le pire est-il passé?…
Le départ donné, je suis parti devant puis vient la montée du pic de la Colmiane, un début qui annonce la couleur de cette Transvésubienne. Après 40 minutes de course j’ai vu au loin les premiers portages !
Premier pied au sol, mon mollet s’est crispé, mon tendon d’Achille a perdu sa mobilité et mes appuis sont devenus instables sur les pierres humides et les névés de neige. Mon regard s’est rapidement perdu dans un océan de brouillard. La première descente était là. Je l’ai entamé avec une joie intense et un sentiment de délivrance m’a envahi.
Mais ce sentiment est reparti aussi vite qu’il était arrivé. Le cintre bien serré entre mes deux mains, j’ai avalé les premières marches avec lucidité. J’ai vite compris que les montées, tout comme les descentes, deviendraient mes bêtes noires. Des marches à n’en plus finir ont réduit mes bras à deux vulgaires bouts de bois. Accroché à ma vie, à mon vélo, je serrais de toutes mes forces pour éviter les erreurs. Les avant-bras en feu, j’étais obligé de tenir mes freins à deux doigts. Tout mon corps ne faisait plus que suivre le relief du terrain.
C’est là que j’ai pris réellement conscience que la nature aurait toujours le dernier mot.
20 kilomètres se sont passés et je ne roulais déjà plus qu’au mental. Une quarantaine de kilomètres ont défilé à ne plus sentir mon corps. Mes pas lors des portages se furent de plus en plus hésitants, mon pédalage s’est saccadé, mon champ de vision s’est réduit, ma réflexion perdait en vivacité.
Quand je pensais avoir fait le plus dur, me voyant entrer dans les 20 derniers kilomètres, je suis devenu un vulgaire automate. Mon corps me faisait affreusement mal lorsqu’il fallait hisser le vélo sur mon dos ; c’est tout mes muscles que je devais mobiliser. Mes jambes tremblaient, mes lombaires brûlaient et devenaient pierre ; chaque pas était d’affreux exploits. J’avançais parce que le mot abandon, je ne l’avais jamais connu et ce n’était pas le moment de le connaître.
Je ne pensais qu’à une chose : arriver !!! Enfin… si j’en avais encore la force. Je devenais un vulgaire débris sur mon vélo, sans tenu. Nerveusement et psychologiquement, j’étais à bout. Des larmes de désespoir et de douleur ruisselaient sur mon visage blanc et inerte. Mes cris de désespoir se heurtaient au roc jonchant les sentiers et résonnaient sur les parois de pierre.
Le pire, c’est que j’étais seul… seul sur mon vélo. J’avais beau crier, j’étais seul avec ma douleur. Seul à me ronger les lèvres à bout de force, seul sur ces sentiers impraticables.
J’étais le seul à pouvoir comprendre ce qui m’arrivait et à en mesurer l’ampleur. Je priais pour arriver en bas de chaque descente entier sur mon vélo.
Imaginez un pantin, la tête pendante, les mains crispées sur son vélo, n’ayant plus la force d’extérioriser sa douleur.
Je suis enfin arrivé dans le fameux “Paillon“. je m’engluais dans les galets et les pierres de la rivière. Je zigzaguais, plus du tout lucide. Je me laissais guider par le relief. J’ai perdu toute humanité, j’étais absent, ailleurs… mais nul part. Puis, enfin, je suis entré dans ce tunnel d’un noir profond qui signalait la fin de cette course infernale. Je ne pensais qu’à en sortir…
“Mais qu’il est long ce PUTAIN de tunnel. Tu ne vois pas là, que j’en peux plus? STOPPPPPP!…”
Un sentiment d’injustice, de dégout, de désespoir m’a envahi quand soudain j’ai vu la lumière du jour. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai essuyé mes larmes de douleur. Je suis sorti de l’eau et j’ai fait comme si rien ne se s’était passé. J’ai levé les mains en l’air. C’était enfin fini, cette course qui m’avait malmené, m’avait poussé dans mes derniers retranchements.
J’ai dit merci. Merci à mon corps qui m’a permis de finir, merci au staff UCC qui à organisé ce défis, merci au vélo qui m’a mené jusque là puis je me suis écroulé par terre.
« A quoi bon tout cela… ?… ».
J’avais entendu que pendant la Transvésubienne on passe par tous les états et je n’en suis pas exempté. Cette course m’aura marqué tant de douleur que de fierté d’être parvenu à finir ce défit.